Urbanisme : le nouveau coeur de Marseille
par Emmanuel de Roux et Michel Samson - Le Monde - 28/02/2007
Le centre de Marseille bouge comme il n'a pas bougé depuis trente ans. Au nord du Vieux Port, les rues sont éventrées pour laisser passer un nouveau tramway, des pelleteuses creusent les fondations de nouveaux immeubles, les anciens sont couverts d'échafaudages, les friches se métamorphosent. La ville portuaire, tétanisée depuis des décennies par les crises économiques et sociales, semble reprendre des couleurs. Ce redémarrage a été facilité par l'arrivée du train à grande vitesse (TGV) en juin 2001, mais il est dû, surtout, à l'opération Euroméditerranée.
Ce vaste programme d'urbanisation et de revitalisation économique a débuté en 1995. Il avait pour but de remettre Marseille au niveau de ses rivales, Barcelone, Gênes ou Naples, en réhabilitant 311 hectares autour des bassins portuaires de la Joliette, en modernisant la gare et son quartier, ainsi que l'ancien site de la Seita, la friche de la Belle-de-Mai. Sans oublier la remise en état de la rue de la République, reliant la place de la Joliette au Vieux Port. Il fallait, surtout, revitaliser une zone effondrée par la désindustrialisation de Marseille, où vivaient 30 000 habitants, avec des taux de chômage et de pauvreté dépassant toutes les moyennes locales.
Le principe de l'opération, imaginée par la chambre de commerce et les élus locaux, a été accepté par l'Etat qui finance la moitié de l'opération. Une règle est fixée dès le départ : pour 1 euro d'argent public, on doit attirer 3 euros d'argent privé. Renaud Muselier, à l'époque jeune élu chiraquien et premier adjoint de Jean-Claude Gaudin qui vient de conquérir Marseille, préside l'établissement public Euroméditerranée. Le démarrage est lent, soulève le scepticisme et use trois directeurs généraux. Mais en 2005, les premiers résultats sont salués et la durée d'Euroméditerranée est prolongée de six ans.
Aujourd'hui plus personne n'en nie le succès. Les 300 millions d'euros d'investissement public ont engendré 1 milliard d'euros d'investissements privés, "soit un effet multiplicateur de 3,5", souligne M. Muselier. "Un point de non-retour a été franchi", constate Yves Lion, l'architecte-urbaniste choisi pour aménager la zone littorale d'Euromed.
"La feuille de route de 1995 est restée la même, affirme François Jalinot, actuel directeur général d'Euroméditerranée. On devait apporter à Marseille et à sa population de la richesse économique en veillant à l'équilibre social. Consolider l'activité portuaire, diversifier les filières économiques en direction des économies de la connaissance, des télécoms et de l'information. Il fallait créer 1 million de mètres carrés de surfaces immobilières, dont 4 000 logements neufs et en réhabiliter 6 000, avec l'objectif de créer 15 000 emplois supplémentaires." Dix ans après, la moitié de l'objectif est en passe d'être atteint en jouant la carte de la mixité immobilière et sociale, de la culture et de l'architecture.
La principale difficulté de l'affaire tient au fait qu'il s'agit de marier bureaux et logements. Un nouveau pôle d'affaires est d'abord sorti de terre autour des anciens docks dont les bâtiments, fort bien réhabilités, sont devenus une ruche. Mais les programmes de logements ont suivi rapidement. Malgré une pression immobilière forte, tous doivent prévoir une part de logements sociaux afin que soit assurée la mixité sociale promise par Euroméditerranée.
CONCOURS ARCHITECTURAUX
Autre point fort du programme : la culture. Les travaux du Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée (Mucem) démarrent pour une ouverture programmée en 2011 : son budget a été débloqué par le ministère de la culture. "L'Etat et la ville ont hésité, mais nous avons tenu bon", affirme Michel Collardelle, le responsable du musée. Il insiste : "La présence de cet établissement culturel national a joué un rôle dans le long processus d'Euroméditerranée. Il représente un investissement de 200 millions d'euros. Avec le bâtiment du fort Saint-Jean et les réserves installées par l'architecte Corinne Vezzoni derrière la gare Saint-Charles,le musée est présent aux deux entrées d'Euromed." D'autres équipements culturels sont en gestation : le Centre interrégional de la Méditerranée, voulu par la région PACA, à côté du Mucem ; le silo d'Arenc, transformé en salle de concerts dont l'ouverture est annoncée pour 2008 ; le complexe Euromed Center qui accueillera le multiplexe cinématographique d'Europa-Corp, la société de Luc Besson. Quant à la Fiesta des Suds, événement musical et festif majeur de Marseille, elle s'installe définitivement dans un ancien hangar sucrier d'Arenc. Enfin, l'ancienne friche industrielle de la Belle-de-Mai, accueille sur ses 4,5 hectares, activités théâtrales et musicales, technologies de l'information et studios de cinéma et de télévision.
Comment signaler le changement, sinon par une belle vitrine ? Marseille a parié sur la qualité formelle des nouveaux bâtiments en imposant des concours architecturaux aux différents promoteurs. Du coup, c'est une coqueluche des médias, Zaha Hadid, architecte britannique d'origine irakienne, qui construit la tour (150 m de haut) de la CMA-CGM, poids lourd mondial du fret maritime. Jean Nouvel et Yves Lion doivent ériger des tours dans le même quartier d'Arenc, pour le groupe immobilier Constructa. Rudy Ricciotti, Grand Prix national d'architecture, est chargé du Mucem. Juste à côté, Bruno Fortier réaménage les abords de la cathédrale de la Major. Autre vedette, l'Italien Massimiliano Fuksas réalisera l'Euromed Center.
L'opération pourrait s'étendre sur une deuxième zone, aussi vaste que la première, en direction de l'Estaque. Un comité interministériel d'aménagement du territoire (CIAT) devrait prochainement valider cette deuxième étape. D'ici là, Marseille aura rééquilibré son centre vers le nord du Vieux Port.
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