A Marseille, la cohabitation entre la cité Kallisté, située dans les quartiers nord de la cité phocéenne, et la zone pavillonnaire voisine n'est pas si simple. Les propriétaires des villas n'attendent qu'une chose: la destruction des deux plus grandes barres d'immeubles. Une promesse faite par le promoteur immobilier au moment de l'achat. Mais les habitants de la cité ont leur mot à dire.
C'est un conte moderne, de ceux qui font rêver au temps de la flambée de l'immobilier. Mouna et son mari voulaient un pavillon avec vue sur la mer. Il est maçon, elle est employée de mairie. Les voilà enfin installés avec leurs trois enfants, propriétaires d'une villa néoprovençale. Il y a une belle terrasse et un grand jardin, des oliviers nains dans les plates-bandes et un panorama sur la rade marseillaise... Sauf que la Méditerranée se découpe sur fond de barres HLM. Deux des plus grandes cités des quartiers nord de Marseille se dressent à quelques dizaines de mètres de leur villa."On s'est posé des questions avant d'acheter. Quand on prend l'apéro sur la terrasse, on regarde les poubelles tomber par les fenêtres, parfois un frigo ou une machine à laver. On a la vue sur la misère du monde, commente Mouna. C'était ça où rester locataires. Ailleurs dans Marseille, l'équivalent nous aurait coûté le double, voire le triple." Le couple a quitté un appartement des quartiers sud, les plus chics, pour s'offrir le "Val aux Grives", un programme commercialisé par un promoteur de la région, "Hectare S.A.". Les ventes vont bon train: sur les 77 parcelles à bâtir, 73 ont déjà été vendues. Les premières villas sont sorties de terre, les autres se construisent. Ticket d'entrée: 76 000 à 199 000 euros le terrain (400 à 3500 m²), sur le flanc d'un vallon tapissé de garrigue, les HLM en guise de forêt. Mais le paysage va s'améliorer, selon la promesse qui aurait été faite aux acheteurs: "Au bureau de vente, on nous a assuré que les deux plus grandes barres seraient détruites d'ici à 2012. On aura alors une meilleure vue sur la colline et la mer."L'affaire semble plus complexe. Parce que dans les barres visées, les habitants ne sont pas du tout d'accord. Pour les rencontrer, il suffit d'emprunter le sentier caillouteux qui serpente à flanc de colline. A cent mètres, deux barres se distinguent, plus hautes et plus grises que les autres, au milieu des parkings défoncés et des fourrés où s'amoncellent les déchets. Bienvenue à Kallisté, une cité de 752 logements, délabrée certes mais habitée par de nombreuses familles en grande précarité. Sept bâtiments sur neuf ont été réhabilités au début des années 2000. "On est bien ici, aucune envie d'être déplacés du quartier", affirme Bacari, le gardien comorien. Ignacio, 82 ans, acquiesce: "Partir pour aller où ? J'ai vécu 43 ans dans cette cité.""Aujourd'hui, les gens sont mobilisés car ils prennent conscience du danger de démolition", explique Aleksander. Photographe d'origine polonaise, il habite avec sa femme Julia au douzième étage, vue imprenable sur le lotissement en construction. Au syndic de copropriété, les rumeurs vont bon train: "Les uns soupçonnent le promoteur de s'être entendu avec la ville pour détruire les barres aux frais du contribuable et valoriser du même coup les parcelles en dégageant la vue. D'autres pensent que les services de l'habitat en ont eu marre de l'insalubrité et ont choisi la manière radicale. Les syndics de copropriété, très endettés, n'ont jamais pu organiser la réhabilitation des deux barres les plus pourries de la cité."Les premiers jalons de l'expropriation sont posés: "Une dizaine d'appartements ont été rachetés par la ville et murés", affirme Aleksander. "Prix de rachat: 40 000 euros !" Voilà qui ne ferait pas son affaire, lui qui a réuni deux appartements pour former un vaste pied-à-terre avec vue sur mer. L'histoire du couple est singulière: "Nous habitions les quartiers chics mais Julia souffre d'asthme. En fait, l'air est plus pur ici. Et regardez ce panorama!" Des fenêtres du salon, la Méditerranée apparaît plein cadre.Dix-huit ans que le couple a choisi d'habiter là, sans rien ignorer de la misère qui les entoure: les marchands de sommeil, les gamins arrivés de Mayotte ou des Comores qui passent l'hiver en tongs, la saleté des espaces communs, les ascenseurs qui suintent l'urine... "La destruction ne ferait que déplacer ces problèmes. Mieux vaut une réhabilitation, qui en plus coûte beaucoup moins cher au contribuable", estime Aleksander. Avant qu'une décision soit prise, les pavillons et les cités vont devoir cohabiter et inventer une mixité sociale ici inconnue.
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