10.5.09

Marseille 2013 : La culture comme ultime coup bas


article trouvé sur : http://www.millebabords.org/ par Leï Chapacans


MARSEILLE, L’INCURABLE
Il est des villes qui semblent résister contre vents et marées, en dépit des injures et du mépris, aux multiples attaques qui tout au long des derniers siècles ont tenté de les rendre semblables à n’importe quelle autre. Rares sont celles qui malgré l’insistance des coups portés ne se sont transformées en ville-décor, centre aseptisé et périphérie dortoir. Marseille ou du moins ce qu’il en reste est de celles-ci. Raillée et calomniée dans l’Hexagone jusqu’au milieu des années 90, elle a su ne pas nier ce qu’il reste de vie. Par un retournement autant habile que douteux de toutes les tares qu’on lui avait accolées, la ville paresseuse, sale, vulgaire et cosmopolite est devenue à la mode ces derniers temps. La transformation sémantique des mots vécus en termes plats et conceptualisés a permis sa valorisation marchande. Marseille, ville hospitalière, cosmopolite, juste assez violente pour ne pas être ennuyeuse, est devenue officiellement une ville où il fait bon vivre. Le spectre d’Haussmann, Attila de la ligne droite, peut davantage hanter les lieux. La rue de la République, véritable saignée impériale, dont la réalisation eut pour vœux non exaucés de faire revenir près du centre ville une bourgeoisie marseillaise frileuse, est présentée à une nouvelle bourgeoisie européenne, autant convoitée que fantasmée, comme l’eldorado moderne de toutes les opportunités en matière d’investissement et de logements, de bureaux qui au demeurant restent vides. Euromed qui inlassablement intente, avec l’arrogance de bâtisseurs sur des déserts, une restructuration du territoire européen en pôles régionaux de compétitivité, opère autour du nouveau « quartier » d’affaires de la Joliette à grands coups d’expropriation et d’expulsions. Ce projet visant à construire un « espace de paix, de sécurité et de prospérité partagée » s’incarne dans la destruction des dernières enclaves populaires du centre en vue de leur déportation en périphérie et la construction de pôles pour des populations virtuelles de substitution acquises à la mobilité ou à la spéculation. L’une des dernières grandes villes européennes avec un centre populaire courbera-t-elle l’échine face à l’anéantissement des formes de connivences afin de leurs substituer des conglomérats informes, séparés par des déserts et des autoroutes ? À défaut d’une résistance de taille, sabotages d’horodateurs, actions contre les expulsions, grouillements de vies insoumises à cette gestion et faillites chez les Seigneurs sont autant de cris d’une ville qui refuse de ne s’appeler ville que par tromperie.
CULTURE RAYONNANTE ET GENTRIFICATION
Lorsque les bruits des marteaux piqueurs et le gigantisme du carton-pâte ne semblent plus suffire surgissent de façon peu sournoise les projets d’une indispensable culture. Banderoles et brochures fleurissent pour célébrer la victoire de Marseille-Provence comme Capitale Européenne de la Culture en 2013. L’ancien PDG d’Orangina-Schweppes, Jacques Pfister, président de l’événement ainsi que de la Chambre de Commerce et d’Industrie, célèbre le mariage de la culture et de l’entreprise. Pour ce mécène des temps modernes, homme de culture et grand combattant contre la diabolisation de l’entreprise, un des rôles de l’artiste consisterait à retracer aux financeurs le moment économique qu’ils vivent. L’événement n’aurait pas d’enjeux mais prendrait part dans une politique de civilisation. Un des nombreux objectifs serait de rassurer les entreprises étrangères qui s’installent sur les conditions d’accueil et de vie de leurs cadres, familles et employés dans une ville où la culture se doit de bien être assurée [1]. D’autres comme Rudy Ricciotti, architecte du futur MuCEM, pour qui vivre toujours tous ensemble entre pauvres ne serait ni un projet esthétique ni un projet politique, se plaignent du fait qu’il n’y ait pas assez de riches à Marseille et espèrent que l’événement puisse amener un peu de blé, un peu de belles femmes en voitures décapotable [2]. Le consensus entre décideurs politiques et économiques et l’absence provisoire de voix dissonantes chez les saltimbanques serait-il dû à l’attrait financier des fameux 98 millions ? Les citoyens dubitatifs devraient selon les dirigeants se satisfaire d’une stratégie de mobilisation qui les feraient devenir acteur de l’événement. Ce projet dont les axes principaux [3] ont été minutieusement définis attribue la place importante à une culture à rayonnement européen voir international. Des miettes d’un folklore local multiculturaliste douteux se basant sur ce qui fit de Marseille une ville à la mode fignoleraient la marque Marseille. Désertions et initiatives permettant la lutte dans le champ artistique, lutte qui ne pourra se manifester que par une mise en question radicale des rôles de chien de garde en laisse des pouvoirs financiers et de participant actif à l’effondrement des dernières enclaves populaires attribués à l’artiste, seront autant d’obstacles à ces projets où culture et pacification sont à jamais liées. Nous ne pouvons dire que « Non » et saboter par tous les moyens cette négation de ce qui reste de vie par en bas. Parce que si par amour nous commencions par dire des choses positives, nous tomberions dans l’erreur de revendiquer ; ce qui est se tromper car au moment où l’amour formule ces réclamations positives, il contribue lui-même à convertir ces choses, en idée d’elles-mêmes, manipulables par le commerce, le Capital et l’État.
Leï Chapacans
Lectures pour une offensive « Villes et résistances sociales », Agone n°38/39, 2008 Bendy Glu, Culture & propagande « “Lille 2004”, capitale européenne de la culture » in Agone, n°34, 2005 Bruno Le Dantec, La ville-sans-nom, Marseille dans la bouche de ceux qui l’assassine, Le Chien rouge, 2007 Site Internet « La fête est finie » : — http://lafeteestfinie.free.fr/
Texte paru dans Offensive n°21
OLS Chapacans c/o Mille Babords 61 rue Consolat, 13001 Marseille chapacans@riseup.net http://offensive.samizdat.net/ http://atheles.org/offensive/
[1] Propos tenus à la fin de l’émission radiophonique : Marseille vue par ses décideurs économiques http://www.grenouille888.org/dyn/spip.php ?rubrique450
[2] Propos tenus pendant l’émission Tout arrive ! (21’30) Le 7 novembre 2008 sur France Culture http://www.tv-radio.com/ondemand/france_culture/TOUTARRIVE/TOUTARRIVE20081107.ram
[3] Nous reviendrons ultérieurement sur le fond de ce projet.

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