2.4.07

Et si la propriété immobilière créait du chômage?

Dans une ville vendue aux promoteurs immobiliers et au fort taux de chômage, voilà un article fort intéressant, n'est-ce pas Jean-claude G. ?

L'économiste Etienne Wasmer a consacré récemment deux messages de son blog (le premier, le second) à la proposition consistant à défiscaliser les intérêts d'emprunt immobilier pour faire de la France une nation de propriétaires (une proposition qui fait partie des programmes de Sarkozy et de Bayrou). Il rappelle que cette mesure serait extrêmement coûteuse pour les finances publiques, plutôt régressive, et qu'elle s'évaporerait sous forme de hausse des prix de l'immobilier. Il n'y a pas grand-chose à ajouter à cette présentation des effets directs de cette mesure, si ce n'est un effet indirect potentiel : et si cette mesure avait pour effet d'augmenter le chômage?
Lorsqu'on cherche à expliquer le chômage, on voit souvent évoquer des facteurs comme le niveau de protection de l'emploi, de l'indemnisation du chômage, l'influence des syndicats... Et pourtant, il y a un facteur qui est beaucoup plus important : la propriété immobilière. L'économiste Andrew Oswald, comme le rappelait récemment le Financial Times, a constaté qu'il y avait une forte corrélation au sein des pays développés, et à l'intérieur de ceux-ci (on retrouve ce phénomène entre les Etats américains), entre fort taux de chômage et forte proportion de propriétaires de leurs logements. En d'autres termes, les pays à fort taux de chômage ont aussi une forte proportion de propriétaires de leur logement; à l'inverse, les pays à faible chômage comprennent beaucoup de locataires. La France se situe dans la catégorie des pays à forte proportion de propriétaires et fort taux de chômage. Oswald a constaté également que les propriétaires de leur logement avaient une moins grande satisfaction au travail que les locataires.
Comment l'interpréter? Il se peut qu'il s'agisse d'une simple coïncidence; il se peut que la propriété de son logement soit considérée comme une «assurance» contre le chômage dans des pays dans lesquels celui-ci est endémique. Mais cette explication est surprenante car la sécurité ainsi fournie est toute relative, dans la mesure ou le logement est un bien dont la détention est
risquée (peu liquide et au prix très fluctuant) et qu'un achat immobilier fait courir un risque pendant toute la durée de remboursement d'emprunt; il est nettement plus facile pour un locataire, en cas d'incident de vie (chômage, divorce...), de quitter un logement loué pour en trouver un moins coûteux, que pour un propriétaire dont les mensualités ne changent pas. Et cela n'expliquerait pas pourquoi l'insatisfaction au travail est plus forte pour les propriétaires que pour les locataires.
Reste donc la dernière explication. Chacun de nous, dans son lieu d'origine, a tissé des liens, un réseau social, qui lui apporte des avantages, et que l'on ne souhaite pas quitter pour un autre endroit dans lequel on devrait reconstituer ce réseau relationnel. Mais la contrepartie de cette stabilité, c'est que l'on est obligé d'accepter les emplois que l'on trouve dans sa région, et leur absence si l'on se trouve dans une région défavorisée.
Mais il n'y a pas que les relations sociales qui poussent à rester dans une région : le fait d'être propriétaire de son logement est aussi un obstacle à la mobilité géographique, tout particulièrement dans une région à fort chômage (parce qu'il y sera difficile de revendre son logement sans subir de coût). Dans ces conditions, toute mesure fiscale ou réglementaire favorisant la propriété de son logement aura pour effet d'augmenter le chômage et l'insatisfaction au travail.
Jakob Munch a constaté récemment que la seule façon pour les propriétaires immobiliers d'avoir un taux de chômage équivalent à celui des locataires est d'être beaucoup moins sélectifs en matière d'emploi (donc d'accepter des emplois moins plaisants et moins bien rémunérés).
Et en la matière, la France ne manque pas de dispositifs fiscaux incitant à l'accession à la propriété immobilière. Il n'est guère de ministre du Logement qui n'ait voulu donner son nom à une niche fiscale en matière immobilière (au hasard, Robien, Perissol, Borloo...). La proposition visant à réduire les intérêts d'emprunt n'est qu'une bûche de plus à un marché immobilier dans lequel les gouvernements successifs ont largement encouragé la flambée. Mais ce que montrent les travaux d'économistes sur ce sujet, c'est qu'entre revaloriser le travail et augmenter l'emploi d'une part, et soutenir la propriété immobilière à grands coups de niches fiscales d'autre part, il faut choisir.
Alexandre Delaigue

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